Je ne suis pas un grand lecteur de roman. J’ai adoré, plus jeune, lire toutes sortes de roman. Je n’ai jamais vraiment été amateur de grande littérature. Je crois que je n’ai jamais lu les romans ou extraits de romans qui nous étaient assignés à l’école, exception faite du Grand Meaulne et de l’Étranger. Je préférai la science fiction et les bandes dessinées. Mais j’ai malgré ça toujours été un grand lecteur. Une vie sans lecture m’a toujours paru vide. Au début des années 2000, j’ai eu une révélation avec La Fin de l’histoire de Francis Fukuyama, le premier essai que j’ai lu. Je n’ai pas arrêté depuis. Je lis toujours peu de romans, mais toujours plus d’essais.
En murissant toutefois, je me rends bien compte qu’il me manque quelque chose. J’ai pris lentement conscience que la somme des connaissances que j’accumule, reste en quelque sorte rangée dans des coins de mon cerveau comme des pelotes de laine, à prendre la poussière. Cette prise de conscience, je la dois à deux choses.
D’abord à ma lecture de Taleb et à la découverte du Lindy Effect, c’est-à-dire l’idée que la durée de vie future de quelque chose est proportionnelle à son âge. Plus quelque chose est vieux, plus cette chose à des chances de rester en vie encore longtemps. Appliquée à la littérature, cela revient, en quelque sorte, à dire que plus une oeuvre passe le test du temps, plus elle est riche. Il y a donc certainement beaucoup de chose à apprendre dans les essais qui sont publiés aujourd’hui, mais rien qui n’ait déjà été dit, probablement en mieux, dans les oeuvres des grands auteurs.
Il y a eu ensuite la réforme du lycée en France, qui m’a imposée de devoir enseigner une nouvelle matière, les humanités, en collaboration avec une collègue prof de lettre. Qui dit nouvelle matière, dit promotion auprès des élèves pour les attirer. Il a donc fallu que je prennes le temps de réfléchir plus sérieusement que je ne l’avais fait jusque là, à la relation entre littérature et philosophie. Et c’est là que j’ai compris que si la philosophie et la science offrent à leurs lecteurs des quantités astronomiques de connaissances et de savoir divers, des fils et de pelotes de laines, c’est la littérature qui permet de tisser et de coudre des tapisseries qui rendent intelligibles cette masse informe.
Et petit à petit est donc né un désir d’aller lire cette littérature que j’avais ignorée. Ce désir s’est transformé en projet de grand ampleur au cours des derniers mois, d’abord à la suite de la pandémie, qui m’a permis de voir que je disposais, finalement, de beaucoup de temps. Mais surtout grâce à la publication d’un billet de blog de Tanner Greer intitulé A Non-Western Canon: What Would a List of Humanity’s 100 Greatest Writers Look Like? . Le titre du billet est tout à fait explicite, Greer s’est proposé de faire la liste des 100 plus grands auteurs de l’humanité, en ne se limitant pas simplement à l’Occident, mais en distinguant 4 aires géographico-culturelles (les aires occidentales, chinoise, indienne et arabe) et en offrant pour chacune des ces aires entre 20 et 30 auteurs. J’adore ce genre de projet, je trouve la démarche tout à fait fondée. J’imagine qu’il existe bien des tristes sires pour trouver cela complètement absurde, mais je ne crois pas que l’on puisse reprocher sérieusement à Greer que la liste qu’il propose ne regroupe pas 100 des plus grands auteurs de l’humanité. On peut, certes, discuter de certains détails (pourquoi Balzac, plutôt que Zola ou Stendhal ? Pourquoi est-ce qu’on ne retrouve pas sur sa liste Les trois royaumes ? Comment justifier l’absence des Kama Sutra ?) mais sur le fond, et dans l’ensemble, la liste que propose Greer me semble tout à fait juste.
Afin donc de tenter de faire quelque chose de toutes les pelotes de laines que j’ai accumulées au cours des années, j’ai décidé, aidé par une amie, de m’attaquer à cette liste. J’ai l’intention, au cours des 5 prochaines années de lire au moins une oeuvre de chacun des auteurs de sa liste. Sur les 91 entrées qu’elle comporte (Greer a laissé quelques trous), je dois avouer que j’ai déjà lu (seulement 🙁 ) 21 auteurs (dans leur immense majorité tiré de la liste occidentale). Je compte toutefois lire pour chacun de ceux que j’ai déjà lu, soit une autre de leurs oeuvres, soit la même.
Ce projet est maintenant commencé depuis près d’un mois. Et comme je n’aime pas faire les choses à moitié, j’ai fait le choix de m’attaquer à 3 oeuvres en même temps, et pas n’importe lesquelles, il s’agit de 3 romans monumentaux: Le rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin, À la recherche du temps perdu, de Proust, et Crime et Châtiment, de Dostoievsky. Si j’ai le courage, je ferais des retours de mes lectures sur ce blog.