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La pensée et le langage

J’ai récemment eu un échange assez chouette avec une collègue prof de lettre au sujet du rapport entre la pensée et le langage. À l’origine de l’échange, il y a une divergence d’opinions quant à l’importance de la grammaire. Évidemment, pour une prof de lettre, la grammaire c’est central. Évidemment, pour moi, prof de philo, et illettré notoire, la grammaire c’est pas trop important, voire surfait. Bon, l’avantage c’est que j’ai de mon côté des grosses pointures dans le domaine (Pinker et McWhorter, entre autres). Mais ce point est sans grande importance, car ce n’est que le point de départ de la discussion. Ce qui suit est plus intéressant. En effet, à un moment ma collègue a dit plusieurs choses qui, à mon avis, sont beaucoup plus problématiques, sur lesquelles je voudrais revenir à tête reposée, afin de pouvoir élaborer un peu mieux ce que je pense. Vers la fin de notre conversation, ma collègue a dit ceci : « Il n’y a pas d’argument sans langage pour l’articuler » et « La pensée prend sa forme dans le langage ». Il y a dans ces deux phrases deux choses que je voudrais analyser, car elles me semblent vraiment problématiques.

La première chose à remarquer c’est le vague absolu qu’il y a derrière ces deux phrases. On peut les interpréter de tellement de manières qu’elles sont, en un sens, dénuées de sens. Il s’agit d’une tendance assez naturelle dans le débat public particulièrement en France, parce qu’il est dominé par des gens qui ont une formation littéraire et qui sont peu portés à la précision sémantique. Que veut dire « articuler » ? Que veut dire « prendre sa forme » ? Le spectre des sens possible est tellement vaste qu’on pourrait imaginer que ces phrases peuvent vouloir dire quelque chose, mais aussi le contraire de cette chose. Je vais revenir sur ce point un peu plus loin.

Dans le quotidien, la pluralité sémantique des phrases et des mots est normale. La communication humaine sait se satisfaire de l’ambiguïté, car le contexte permet, la plupart du temps, de comprendre de ce dont il est question. Au quotidien, ce n’est pas une faiblesse c’est plutôt une force. Cela permet d’exprimer une multitude de choses assez subtiles et d’être compris sans avoir nécessairement à passer beaucoup de temps à trouver le mot juste. En littérature cette tendance à l’ambiguïté est centrale, car elle force le lecteur à réfléchir. Chez les grands auteurs, jouer avec l’ambiguïté est révélateur de finesse et de profondeur, alors que cela masque à peine la médiocrité des autres. Le problème, c’est que lorsque le débat public est monopolisé par des gens qui ont une formation principalement littéraire, l’utilisation de l’ambiguïté est constante, ce qui a comme conséquence qu’il est assez difficile d’identifier avec précision la position qui est défendue et de pouvoir y répondre précisément. C’est exactement ce qui s’est passé dans mon échange avec ma collègue. Il m’était impossible de savoir précisément ce qu’elle voulait dire. Cela a comme conséquence que, malheureusement, bien souvent dans les débats publics français, on peut dire des choses absolument hallucinantes, car vague !

Cela m’amène à la seconde chose dont je voudrais parler. Dans les deux phrases que j’ai mentionnées (« Il n’y a pas d’argument sans langage pour l’articuler » et « La pensée prend sa forme dans le langage ») rien n’est ni faux ni vrai. Tant et aussi longtemps que le sens de « articuler » et « se forme » n’est pas précisé, il est impossible de comprendre exactement ce qui est en jeu dans ces deux phrases. D’ailleurs, le sens de « langage » n’est pas plus clair ici. S’agit-il de la faculté humaine de communication (le langage au sens de Saussure) ? Du type de convention par laquelle la communication humaine s’exprime (l’anglais, le français, etc.) ? S’agit-il de quelque chose plus large (le langage corporel, le langage du théâtre, la parole) ? S’agit-il de la communication en général ? Chacune de ces interprétations implique quelque chose de différent. « Articuler » pourrait vouloir dire communiquer, ou lui donner une forme linguistique particulière, ou encore lui donner un contenu sémantique spécifique, etc. « Prendre forme » pourrait vouloir dire plus de choses encore. Le contexte dans lequel la discussion a eu lieu permet de limiter un peu les possibilités et j’ai l’impression qu’en utilisant ces deux phrases, ma collègue a tenté de défendre une forme de déterminisme linguiste.

Le déterminisme linguistique est la thèse selon laquelle la langue que l’on utilise a un impact sur la manière dont on perçoit le monde. (Une première chose à noter, c’est l’ambiguïté autour de la question de l’utilisation de la langue. Est-ce que je suis influencé uniquement par ma langue maternelle ou par la langue dans laquelle je m’exprime au moment ou je m’exprime ?) Cette thèse est associée aux linguistes Sapir et Worf, et son illustration le plus courante est l’idée (fausse) que parce que les Inuits ont plein de mots pour décrire la neige, ils perçoivent la neige différemment de ceux qui n’ont qu’un mot pour la décrire. S’il est possible, aujourd’hui, de continuer à en défendre une version extrêmement faible, il est impossible d’en défendre la version forte. (Pour une critique de la version forte, vous pouvez aller consulter The Language Hoax, de John McWhorter et The Stuff of Thought de Steven Pinker, pour une présentation de la version faible, je vous suggère Through the Language Glass, de Guy Deutscher).

En gros, le consensus aujourd’hui est que les langues que l’on parle n’ont pratiquement pas d’influence sur la manière dont on perçoit le monde qui nous entoure. Par exemple, si la langue dans laquelle vous communiquez n’a pas de mot pour bleu, rose ou orange (et il y en a plein dans ce cas) vous pouvez quand même percevoir ces couleurs. En revanche, il semble que si la langue dans laquelle vous parlez à un mot pour parler du rose ou du bleu ciel (le russe par exemple) vous pourrez reconnaître un peu plus rapidement (quelque milliseconde) cette couleur. De ce point de vue là, donc, la pensée ne prend pas sa source dans le langage. La pensée s’exprime par le langage, mais la pensée n’est pas réellement influencée de manière significative par le langage.

Peut-être que par « la pensée » ce que ma collègue voulait dire, ce n’était pas vraiment ce que je pense, mais ce que j’exprime. Possible, mais honnêtement, il y a tellement d’interprétation possible que je vais les mettre de côté. D’autant que si c’est effectivement ça qu’elle voulait dire, soit c’est assez trivial comme idée (ça revient simplement à dire que pour m’exprimer j’ai besoin d’un canal de communication), soit ça revient à une forme de déterminisme linguistique parce que ce que j’exprime est influencé par la langue que j’utilise pour l’exprimer. Bref…

Cela dit, il est tout aussi possible que ma collègue n’ait pas voulu défendre une version du déterminisme linguistique, mais, qu’elle ait simplement voulu dire quelque chose d’assez trivial, à savoir que pour exprimer mes pensées, j’ai besoin d’un canal de communication. J’aurais tendance à croire que ce n’est pas le cas ici, car elle s’opposait à ce que j’essayais de dire, et rien dans cette évidence n’est contraire à ce que je disais.

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Mes lectures de l’année (2019)

2019 est maintenant terminé. Alors je me suis dit que je partagerai un récapitulatif de ce que j’ai lu cette année, trié en fonction de mes intérêts du moment. Il ne s’agit ici que des Essais et des romans. Je réserve la liste des BD que j’ai lu pour un autre post.

Mon Top 10 de l’année. Les livres qui m’ont le plus marqué, qui ont changé ma manière d’aborder un sujet, qui m’ont fait découvrir quelque chose qui je ne connaissais pas, et ceux sur lesquels je vais certainement revenir au cours des prochaines années :
The Invention of Science: The Scientific Revolution from 1500 to 1750, by David Wootton
Dans la tête de Xi Jinping, de François Bougon
The Language Hoax: Why the World Looks the Same in Any Language, by John McWhorter
Against the Grain: A Deep History of the Earliest States, by J. Scott
Metaphors We Live By, by G. Lakoff and M. Johnson
The Coddling of the American Mind: How Good Intentions and Bad Ideas are Setting Up a Generation for Failures, by G. Lukianoff and J. Haidt
Global Inequality, by Branko Milanovic
Escape from Rome: The Failure of Empire and the Road to Prosperity, by Walter Scheidel
L’enquête, Livres I à IV, de Hérodote
The Orchid and the Dandelion: Why Some Children Struggle and How All Can Thrive, by W. Thomas Boyce

Romans :
Educated, by Tara Westover
A Fool and Forty Acres : Conjuring a Vineyard Three Thousand Miles from Burgundy, by Geoff Heinricks
L’idiot, Tome 1, de F. Dostoïevsky
Ancillary Justice, by Ann Leckie
Ancillary Sword, by Ann Leckie
La tresse, de Laetitia Colombani

Inégalité :
Global Inequality, by Branko Milanovic
Inequality: What Can be Done ?, by Anthony Atkinson
The Spirit Level : Why Greater Equality Makes Societies Stronger, by R. Wilkinson and K. Pickett
Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, de J.-J. Rousseau
Cette liste est la fin d’un programme de lecture plus large entamé en 2018 qui contenait aussi :
Automating Inequality, by Virginia Eubanks
Debt: The First 5,000 Years, by David Graeber
Hierarchy in the Forest: The Evolution of Egalitarian Behavior, by Chris Boehm
The Creation of Inequality, by K. Flannery and J. Marcus
The Great Leveler: Violence and the History of Inequality from the Stone Age to the Twenty First Century, by Walter Scheidel

Education-Pedagogie:
The Ingredients for Great Teaching, by Pedro De Bruyckere
You Can Do Anything: The Surprising Powers of a Useless Liberal Arts Education, by George Anders
Life Beyond Grades: Designing College Courses to Promote Intrinsic Motivation, by M. Covington
Learning to Learn: How to Succeed in School Without Spending All Your Time Studying, by Barbara Oakley
The Coddling of the American Mind: How Good Intentions and Bad Ideas are Setting Up a Generation for Failures, by G. Lukianoff and J. Haidt
Think Again: How to Reason and Argue, by W. Sinnott-Armstrong

Langage:
Metaphors We Live By, by G. Lakoff and M. Johnson
What Language Is: And What It Isn’t and What It Could Be, by John McWhorter
The Language Instinct: How the Mind Creates Language, by Steven Pinker
How Language Began: The Story of Humanity’s Greatest Invention, by Daniel Everett
Through the Language Glass: Why the World Looks Different in Other Languages, by Guy Deutscher
The Language Hoax: Why the World Looks the Same in Any Language, by John McWhorter
The Language Myth, by Vyvyan Evans
The Talking Ape: How Language Evolved, by Robbins Burling
The Unfolding of Language: An evolutionary tour of mankind’s greatest invention, by Guy Deutscher
Cette liste fait parti d’un programme de lecture plus large qui se poursuivra en 2020.

Histoire et littérature de l’antiquité:
The Horse, The Wheel and Language: How Bronze-Age Riders from the Eurasian Step Shaped the Modern World, by David Anthony
A History of the Ancient Near East, by M. Van De Mieroop
Against the Grain: A Deep History of the Earliest States, by J. Scott
1177 B.C.: The Year Civilization Collapsed, by Eric H. Cline
L’enquête, Livres I à IV, de Hérodote
Histoire de l’Égypte pharaonique: Le temps des rois-dieux, de Claire Lalouette
The Tale of Sinuhe and other Egyptian Poems 1940-1640 BC., translation by R. B. Parkinson
L’apologie de Socrate, de Platon
Criton, de Platon
Escape from Rome: The Failure of Empire and the Road to Prosperity, by Walter Scheidel
Myths from Mesopotamia: Creation, The Flood, Gilgamesh and Others, translation by Stephanie Dalley
Socrate, de Louis André Dorion
Cette liste est la suite d’un programme de lecture plus large qui se poursuivra en 2020 et qui avait été entamé en 2018. Il contenait aussi :
Who We Are and How We Got Here: Ancient DNA and the New Science of the Human Past, by David Reich
The Rise and Fall of Ancient Egypt, by Toby Wilkinson

Psychologie:
The Orchid and the Dandelion: Why Some Children Struggle and How All Can Thrive, by W. Thomas Boyce
The Happiness Hypothesis: Finding Modern Truth in Ancient Wisdom, by J. Haidt
The Power of Character Strenghs: Appreciate and Ignite Your Positive Personnality, by R. Niemic and R. McGrath
Aphantasia: Experiences, Perceptions, and Insights, by Alan Kendle
The Storytelling Animal: How Stories Make Us Human, by J. Gottschall

La Révolution Scientifique:
The Scientific Revolution, by Steven Shapin
The Invention of Science: The Scientific Revolution from 1500 to 1750, by David Wootton
The Cheese and the Worms: The Cosmos of a Sixteenth Century Miller, by C. Ginzburg

Divers :
In Defense of Food: The Myth of Nutrition and the Pleasures of Eating, by Michael Pollan
Doing Philosophy: From Common Curiosity to Logical Reasoning, by Timothy Williamson
Aspects du Mythe, de Mircea Eliade
Capitalism, Alone, by Branko Milanovic
Dans la tête de Xi Jinping, de François Bougon
Range: Why Generalist Triumph in a Specialized World, by David Epstein

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Pourquoi les voyages de Zeng He sont-ils une exceptions dans l’histoire chinoise ?

De 1405 à 1433 environ, la Chine a déployé, sous le commandement de Zeng He, une flotte fantastique qui partie à la découverte du monde. Plus jamais ensuite, avant que les communistes n’arrivent au pouvoir, elle n’a eu une telle puissance maritime. On parle de plus de 2000 bateaux et de 30,000 hommes. Le coût total de ces voyages a été estimé à 10 à 30 % du total des revenus chinois en un an (Scheidel 2019, p. 434). La flotte s’est rendu jusqu’au Golf Persique, a visité les Maldives, Java, le golfe du Bengale, le détroit d’Ormuz, la mer Rouge. Les trésors qui ont été ramenés de ces expéditions sont nombreux. Des perles, de l’ivoire, des animaux sauvages. Des liens diplomatiques ont aussi été établis avec plusieurs royaumes.

Pourtant malgré cela, ces expéditions n’ont pas mené à grand-chose. La Chine n’est pas devenue une puissance maritime. Elle n’a pas découvert l’Amérique, et n’a jamais établi de colonie durable dans le reste de l’Asie ou en Afrique. Et en 1436, il a été décidé d’effacer toute trace de ces voyages des archives officielles et d’interdire la construction de bateaux pouvant naviguer sur l’océan. Pourquoi ? Pourquoi, alors que des ressources immenses avaient été déployées, ces voyages n’ont-ils eu aucune postérité ? Pourquoi avoir voulu les faire disparaitre ? Pour comprendre ce qui peut paraitre un échec, il faut tenter de répondre à trois questions distinctes. Pourquoi ces voyages ont-ils eu lieu ? Pourquoi ont-ils eu si peu de résultats ? Et pourquoi ont-ils donné lieu à une réaction si extrême ?

On pourrait croire que la première question n’a pas lieu d’être. Après tout, n’y a-t-il pas toujours eu des explorations ? Et n’était-il pas dans l’intérêt de la Chine d’aller explorer de nouveaux territoires pour étendre son Empire ? Il semblerait en fait que non. Il est très rare que les grands empires lancent des expéditions maritimes conséquentes. Rome ne l’a jamais fait. L’Égypte non plus, pas plus que les califats abbassides et omeyyades. En fait l’essentiel des grandes explorations maritimes a été le fait de petites nations. Les cités grecques, l’Angleterre, les Pays-Bas, les Phéniciens, etc. Bref, les voyages de Zeng He sont une exception historique. Cela s’explique en partie par des raisons économiques, géographiques et militaires. Lorsque l’on dispose d’un vaste territoire, il n’est nul besoin d’aller chercher des revenus ailleurs. L’empire se suffit à lui-même. De plus, un vaste territoire implique de vastes frontières à protéger. Les ressources ne peuvent donc être dégagées pour aller explorer ailleurs. Alors pourquoi, dans ce cas, la Chine a-t-elle financé ces voyages ?

L’explication est multifactorielle. En effet, ces voyages ont eu lieu à un moment très particulier de l’histoire de Chine. À un moment où l’Empereur Yongle en manque de légitimité, s’est lancé dans plusieurs entreprises de grande envergure pour assurer son prestige. À la même époque où Zeng He s’embarquait dans ses voyages, la Chine lançait des initiatives militaire et diplomatique vers le Vietnam, la Mongolie et la Corée. L’objectif des voyages de Zeng He n’était donc pas d’explorer le monde, comme ce fut le cas pour Colomb ou Magellan, mais de montrer la puissance de la Chine.

Et c’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi ces voyages ont eu si peu de répercussion. Comme il n’était pas question d’exploration. Zeng He n’a pas cherché à tracer de nouvelles routes maritimes, au contraire des explorateurs européens de la même époque. Ses voyages n’ont fait que suivre des itinéraires déjà connus et empruntés régulièrement. À part quelques trésors et curiosités, peu de choses réellement substantielles ont été rapportées. Le commerce maritime n’a pas été plus florissant après les expéditions. Aucune colonie chinoise n’a été fondée. Le tout a couté une fortune, a été certainement très mal organisé, et a accouché d’une souris. Il est assez évident, dans ce contexte, que ces expéditions aient été annulées. D’autant qu’à l’époque, la Chine subissait de lourdes défaites aux mains des Mongols.

Mais pourquoi aller jusqu’à détruire toute référence à ces voyages ? Pourquoi interdire la construction de bateaux pouvant voyager sur l’océan ? L’explication, ici, se trouve dans un conflit entre deux factions de l’élite chinoise. D’un côté les eunuques qui étaient impliqués dans le commerce maritime et qui avaient les faveurs des marchands. Et de l’autre des membres de l’administration à tendance confucéenne qui s’opposaient à ces voyages, à la fois pour des raisons idéologiques et politiques. Dès qu’ils en ont eu l’occasion, l’administration confucéenne s’est donc empressée d’empêcher le commerce maritime, afin d’éviter que leurs rivaux ne gagnent en influence. Et pour être certaine que cette influence ne renaitrait pas, elle a pris la décision d’interdire les explorations maritimes et fait le choix de faire disparaitre toute trace de ces voyages.

Ces voyages sont donc une exception parce que les Empires sont peu enclins à ce genre de projet. Et que ceux de Zeng He ont eu lieu grâce à un concours de circonstances très particulier. Un Empereur a eu besoin d’assoir sa légitimité, ce qui est relativement rare dans l’histoire chinoise. Ces voyages n’ont eu qu’un impact limité, parce que leur objectif n’était pas d’en avoir un. Il ne s’agissait ni de conquérir ni de découvrir, mais uniquement une question de prestige. Et ils ont été abandonnés parce qu’ils coutaient extrêmement cher et qu’une faction de l’administration de l’empire qui y était opposée s’est trouvée en position de pouvoir et a fait ce qu’elle pouvait pour ne pas que l’expérience de Zeng He se reproduise.

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Ramadan, rituels et spiritualité

Un de mes élèves m’a demandé aujourd’hui, en réaction à mon scepticisme devant certains élèves qui disaient faire ramadan, si c’était parce que je n’aimais pas les musulmans. Je lui ai répondu que non. Mais l’explication que j’ai offerte pour mon scepticisme ne m’a pas satisfait alors je voudrais prendre le temps de mettre ma réponse au clair.

Je ne cacherai pas que je suis agnostique et que cela teinte fortement ma réaction. Cela dit, ça n’explique que partiellement que j’ai proposé à manger plusieurs fois, avec insistance, à certains de mes élèves (qui sont en plein bac).

J’ai un profond respect pour les rituels, parce qu’ils sont, je pense, essentiels pour bien vivre tant au plan personnel qu’au plan social. Au plan personnel parce qu’ils permettent de donner une organisation temporelle à notre vie, mais aussi parce qu’ils ouvrent une dimension spirituelle qui peut être importante pour certains. Au plan social, les rituels créent du capital social et assurent la coopération entre des individus qui se sentent à la fois appartenir au même groupe et qui peuvent se faire confiance les uns les autres. Cela ne me pose donc absolument aucun problème que certains fassent ramadan, bien au contraire ! Il faut cependant noter que, la motivation sociale des rituels, c’est d’être vu par les autres. Il faut que les autres nous voient, car c’est cela qui permet d’assurer la cohésion du groupe. Si on pratique un rituel seul dans son coin, personne ne nous verra et on voit difficilement comment cela peut mener à une plus grande coopération entre eux et nous.

La religion est une affaire autant sociale que personnelle, elle mêle à la fois le rapport de l’individu au divin, disons la dimension spirituelle de la religion, et le rapport de l’individu à la fois au groupe et aux autres individus du groupe, la dimension sociale de la religion. Historiquement, ces deux aspects se mêlent allègrement, mais du moins en occident depuis les Lumières, l’aspect social de la religion tend à disparaître, à mon avis pour le mieux (bon, c’est vrai pas toujours, mais tout de même), et laisse place uniquement à l’aspect spirituel.

La plupart de nos rituels qui impliquent le groupe aujourd’hui, du moins en occident, sont de nature sociale ou politique : le baccalauréat, la graduation, le service militaire (quand il existait), les anniversaires, le Nouvel An, le passage à la majorité, etc. Tous ces rituels n’ont pas de dimension spirituelle, parce que le spirituel est l’affaire de l’individu et non du groupe. C’est pour cela que nos rituels spirituels (lorsqu’on en a) sont des affaires individuelles.

Ma première difficulté avec le ramadan se trouve là. La justification à ce rituel est bien souvent de nature spirituelle, mais il y a une dimension de groupe. Or je trouve qu’il y a quelque chose d’hypocrite, aujourd’hui, à affirmer vouloir développer une connexion personnelle à Dieu, tout en ayant besoin de montrer aux autres que l’on développe cette connexion. Je comprends très bien, d’un point de vue historique, la nécessité de mélanger spirituel et social, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Si c’est vraiment spirituel, il y a quelque chose d’hypocrite à le crier sur tous les toits. Cela ne veut pas dire que je nie la fonction sociale du ramadan. Pas du tout. Je la comprends très bien, il y a quelque chose d’agréable à partager ce genre de rituel, c’est intense et c’est festif.

La deuxième chose qui me dérange c’est que c’est la confusion du spirituel et du social qui donne au ramadan ce caractère de nécessité qui est dommageable dans certains contextes. Si mes élèves insistent pour faire Ramadan alors qu’ils sont en plein bac et qu’ils ont besoin de manger normalement et de dormir normalement, c’est justement parce qu’il y a à la fois du spirituel et du social. Si ce n’était que pour le groupe qu’il faisait ramadan, il ferait probablement une exception pour le bac. Si ce n’était que pour eux et pour se rapprocher de Dieu, il ferait aussi probablement une exception. Mais c’est à la fois pour Dieu et pour le groupe, alors ils ne font pas vraiment d’exception, alors même que certaines fatwas l’ont autorisé.

Dans le fond, j’ai du mal avec la nécessité qu’imposent les rituels. La vie c’est aléatoire, et on devrait pouvoir adapter ces rituels sociaux. Si j’habite à Tahiti, je ne vais pas faire neiger dans mon jardin au moment de Noël. Si un rituel est spirituel, alors Dieu ou quoi que ce soit en quoi je crois, comprendra que dans certains cas, je ne peux pas faire exactement comme je devrais (et si ce n’est pas le cas peut-être que je ne devrais pas trop croire à ce truc). Il y a toujours des circonstances hors de notre contrôle qui font qu’on ne peut pas pratiquer les rituels comme on le devrait, mais ça ne devrait pas être trop grave.

Dans le cas du ramadan, il y a cette hypocrisie qui me dérange et ensuite cette nécessité imposée qui n’a pas lieu d’être. Si quelqu’un ne considère pas que faire ramadan est nécessaire et qu’il le fait juste pour lui, je n’ai aucune raison de dire quoi que ce soit. Si le jeune de longue durée me paraît une mauvaise idée, je vais probablement le mentionner, mais c’est ici l’aspect purement médical qui m’intéressera plus que le rituel lui-même. Et puis, je ne cacherai pas que, comme j’aime bien embêter les gens, je vais probablement dire aussi quelque chose juste pour le plaisir de dire des bêtises, mais ça, c’est une autre histoire.

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Intersectionnalité et buzzword

J’ai découvert aujourd’hui un article de 2008 de K. Davis intitulé “Intersectionality as buzzword: A sociology of science perspective on what makes a feminist theory successful”. Il me semble qu’il y a dans cet article a peu près tout ce qui me dérange dans les élucubrations théoriques des chercheurs féministes (et des post-modernistes en général d’ailleurs). À savoir une incompréhension fondamentale quant au fonctionnement de l’activité scientifique ainsi qu’un désintérêt profond (voire pire, une méfiance) de ce qui est au cœur de la cette activité: la réalité. L’article porte sur le concept d’intersectionnalité, sa place dans l’édifice théorique féministe et son ambiguïté.

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Premier billet

Salut à tous,

Bienvenu sur Niespika. Une présentation rapide est, je crois, de rigueur. À propos du titre “Niespika”, ce sont les premières lettres de Nietzsche, Spinoza et Kant. Ce ne sont pas mes trois philosophes préférés, mais j’ai un excellent souvenir associé avec chacun d’eux. C’est ma femme qui a choisi ce nom, elle trouvait que ça sonnait bien, elle a tout à fait raison !